Du bon usage de nos péchés
L’art d’utiliser ses fautes
D’après Saint François de Sales
(rapide mémo établi à partir de l’ouvrage de Joseph Tissot)
Les titres sont de J. Tissot, les citations sont de Saint François de Sales.
I) Ne pas s'étonner de ses fautes
Il est juste de ne pas se satisfaire du péché comme de quelque chose de normal. Mais il faut être conscient que nous sommes, comme tout homme, blessé et fragilisé par le péché , c’est-à-dire vulnérable. Ne nous faisons pas d’illusion : notre vocation à la sainteté ne suffit pas pour installer en nous la perfection, nous ne sommes pas Dieu : notre volonté ne suffit pas à ce que les choses soient. « Nous ne pouvons marcher sans toucher terre. Il ne faut pas s’y coucher ni s’y vautrer ; mais il ne faut pas penser voler ; car nous sommes de petits poussins qui n’avons pas encore nos ailes. » C’est celui qui se couche qui se croit invulnérable, seul celui qui tente de vivre debout se risque à la chute, il ne la désire pas mais la sait possible. Regretter de toute son âme l’offense faite à Dieu, mais ne pas s’étonner que la faiblesse soit faible.
II) Ne pas se troubler à la vue de ses fautes
Le remord est bon s’il est d’avoir offensé Dieu, mauvais s’il n’est que blessure d’orgueil qui se croyait plus fort. Le Bx Frédéric Ozanam disait qu’il y a deux sorte d’orgueil : celui qui est content de soi, et celui qui est mécontent de soi parce qu’il attend trop de lui-même : c’est dit-il celui-ci le plus raffiner et le plus dangereux. « Rien ne conserve plus nos tares que l’inquiétude et l’empressement de les ôter ». Le trouble entretenu par-delà la restauration sacramentelle de la confession, est une offense à la miséricorde par le peu de cas que l’on en fait. À trop sonder et travailler ses blessures et cicatrices, on les entretient et les envenime. Le trouble paralyse, et Dieu nous demande d’avancer ; la confiance est la première condition de l’équilibre. « Si vous ne vous étiez point inquiétée au premier faux-pas, mais que, tout doucement vous aviez repris votre cœur entre vos mains, vous ne seriez pas tombée à nouveau ».
III) Ne pas se décourager à la vue de ses fautes
Si le démon travaille à nous faire nous révolter contre notre faiblesse et à nous tourmenter excessivement de nos fragilités, c’est pour jouer sa carte maîtresse : celle du découragement. Ce n’est pas notre faute qui nous perd, c’est notre désespoir. C’est par l’espérance que nous sommes sauvés (Rm 8,24). La seule victoire possible du tordu c’est de nous pousser à croire que nous ne sommes plus sujet de la grâce et de la miséricorde de Dieu. C’est sa victoire sur Judas comme sur Caïn (Gn 4,13), leur trahison ou crime de sang n’aura servi au mauvais que de moyen pour un seul but : le désespoir qui les fait renoncer à Dieu, à sa grâce et à sa miséricorde. Celui qui s’évertue à se faire passer pour un ange de lumière n’a que trop de facilité à souligner nos ombres, à nous faire croire que notre âme est trop malade pour oser se présenter à son divin médecin. On se décourage lorsqu’on exagère sa faiblesse, ou lorsqu’on a trop présumé de ses forces. « Nous ne sommes jamais tenus pour vaincu, sinon lorsque nous avons perdu la vie ou le courage. »
IV) Utiliser ses fautes pour s’humilier par la connaissance de sa misère
Il est temps, après avoir souligné les pièges du tordu, de présenter la contre-offensive… avec les propres armes qu’il a cru efficace d’utiliser contre nous. L’avantage ne viendra certes pas de ces armes, nos péchés, mais de la grâce de Dieu qui de tout mal peut faire surgir un plus grand bien… Comme le jardinier qui se sert du fumier comme engrais, nous ne prétendons pas que notre péché soit autre chose que pourriture, mais nous savons qu’il est possible d’en faire sortir de plus beaux fruits. Le purin de nos péchés sur le rosier de notre humilité produit immanquablement la fleur lumineuse de l’espérance: en toi seul, Seigneur, j’ai mis ma confiance, c’est pourquoi je ne crains rien. Maudit soit mon péché qui m’éloigne de Dieu… mais, en quelque sorte, bénit soit la chute qui me fait me précipiter dans ses bras, me découvrant trop faible pour me passer de lui. « Chères imperfections, qui nous font reconnaître notre misère et nous exercer en humilité. »
V) Utiliser ses fautes pour aimer sa misère
S’il est vrai que le plus dangereux des péchés (et donc le plus grave) est l’orgueil qui nous tient loin du besoin de Dieu, nous pouvons aimer notre misère même (sans nous réjouir pour autant de son manque à l’amour) qui nous garde l’humilité. « S’il était possible d’être aussi agréable à Dieu étant imparfait qu’étant parfait, je désirerais être sans perfection afin de nourrir en moi, par ce moyen, la très sainte humilité. » Nous n’aimons bien-entendu pas notre misère comme le lieu de nos chutes mais comme le lieu où Dieu vient nous relever : « Il faut souffrir avec patience notre imperfection pour avoir la perfection, non pas la caresser. L’humilité se nourrit de cette souffrance. » Sur la croix, on est sûr de trouver Jésus. « Il y a certaines matières qui, en apparence, salissent et qui néanmoins, servent à ôter les taches. C’est l’usage que font les justes de leur péché, tout en les détestant. Ils s’en servent pour purifier leur âme de l’orgueil qui est le plus grand des péchés ».
VI) Utiliser ses fautes pour accroître sa confiance en la miséricorde de Dieu
« Non seulement l’âme qui a conscience de sa misère peut aller à Dieu avec un grande confiance, mais elle ne peut avoir une vraie confiance que si elle a connaissance de sa misère. Car cette connaissance et confession nous introduit devant Dieu. » Nous devrions parfois avoir plus de repentir de notre manque de repentir que de nos fautes mêmes… et plus de repentir de notre oubli de la miséricorde que des fautes qui la nécessitent et l’appellent. L’amour de Dieu ne dépend pas de ma perfection, mais face à mon péché, il s’appelle miséricorde et compassion. Si l’on admet que le péché est la perte de Dieu, on le reconnaîtra comme la plus grande misère. Dieu est amour, oui ou non ? Où donc ira la plus grande miséricorde et la plus grande compassion de Dieu si ce n’est là où il y a la plus grande misère ? Souvenons nous de Ste Marie-Madeleine de qui il est dit : « elle a beaucoup aimé parce qu’il lui a beaucoup été pardonné »
VII) Utiliser ses fautes pour s’affermir dans la persévérance
Que l’on ne s’imagine pas, rendu à ce point, qu’il faille se complaire dans nos fautes et nos péchés. Après que les paragraphes précédents nous ont invités à nous en servir pour notre humilité et notre confiance, les suivants veulent appeler à les utiliser pour grandir en vigilance et en ferveur. En effet, en nous procurant une connaissance plus exacte de notre faiblesse, en nous invitant dans une humilité plus grande à la confiance en Celui qui seul peut tout, en nous donnant des droits plus grands à la divine miséricorde, on devine combien notre volonté va être sollicitée dans le combat spirituel. Aussi la chute devrait avoir pour vertu de nous échauder assez pour nous aider à en reconnaître les causes et les responsabilités, à fuir les occasions explicites, voire volontaires. La honte et le découragement qui nous ont tourmentés, tournons les en crainte de les retrouver de nouveau. « Le repos est réservé au ciel, où la palme de la victoire nous attend. Sur terre, il faut toujours combattre entre la crainte et l’espérance, à la charge que l’espérance soit toujours plus forte, en considération de la toute puissance de Celui qui nous secourt. »
VIII) Utiliser ses fautes pour devenir plus fervent
Le pire des pièges serait d’attendre d’être saint pour se présenter devant Dieu et lui demander sa grâce. Nous ne serions alors jamais saint, faute de nous être mis en présence de Celui qui seul est Saint. Plus que de m’éloigner de Dieu, ma faute me révèle que j’en suis parti loin… mais qu’il est tout près de moi. Que notre indignité ne nous fasse pas fuir Dieu, mais l’appeler de plus belle : « Viens au secours de notre faiblesse. ». Joindre les mains face à la tentation est plus efficace que de serrer les dents. Le recours fervent et abandonné à la confession est source de plus de grâces que tous les efforts humains réunis. L’accusation de ses fautes, avec le cortège des efforts qu’elle exige, et des bénédictions qu’elle attire, est un puissant moyen de transformer nos chutes en sources de mérite. De quoi faire regretter au tordu de nous avoir tenté. « La confession et la pénitence rendent infiniment plus honorable l’âme que le péché ne l’avait rendue blâmable. » Ne jamais oublier que « le péché procède de notre faiblesse et la charité de la puissance divine. »
IX) Utiliser ses fautes par la pratique de la réparation
L’amour ne peut rester inactif, sa ferveur ne peut rester dans le sentiment, il témoigne par ses œuvres. Le souvenir de nos fautes doit nous pousser a le rendre effectif, c’est-à-dire produisant un effet. En effet, la reconnaissance de nos chutes appellent à réparer l’injure faite à Dieu, à travailler positivement à ce que notre péché a perdu ou négligé. Réparer, ou faire pénitence, c’est opposer une œuvre bonne à un œuvre mauvaise, c’est ne pas laisser le mal dire le dernier mot, c’est détruire des occasions de pécher, en fermant la porte du consentement aux tentations, c’est ne plus regarder nos fautes mais le bien à atteindre, c’est se souvenir que le meilleurs moyen d’éviter le mal n’est pas de le fuir mais de lui opposer le bien contraire, c’est court-circuiter le tentateur… « Les saints se relèvent de leurs chutes plus ardents, à de plus vaillants combats, à tel point que, loin de les retarder dans leur course, leur fautes en redoublent l’élan » « comme pour rattraper le temps perdu ».
X) Utiliser ses fautes par un redoublement de la dévotion envers la bienheureuse Vierge Marie
« La Vierge Marie a toujours été l’étoile polaire et le port favorable de tous les hommes sur les ondes de la mer de ce misérable monde… » Marie est la « Mère de Miséricorde », le « Refuge des pécheurs », le « Port des naufragés » aussi bien que l’« Étoile des navigateurs ». Si l’excès de nos misères nous empêche encore de nous jeter dans le cœur infiniment bon de Jésus, qu’il nous laisse l’audace de nous réfugier dans les bras de celle par qui il a voulu que « tout arrive ».