Laïcité obligatoire

Publié le par abbé Gédéon

benoitxvi2

 

Traintrain

petit conte parabolique sans conclusion

 

Jean s’était réveillé dans une sorte de sursaut au ralenti, quelque chose comme un hoquet brumeux. Il ne savait pas trop s’il avait été rendu à la veille par la sortie soudaine d’un tunnel ou bien par cette impression confuse d’étouffement au fond de son rêve. Il ne se posait d’ailleurs pas la question. Lourdement assis sur la banquette de son train (toute la vitalité dont il était capable agitant sa tête en tout sens, comme pour ajouter un facteur exponentiel aux ressorts qui semblaient vriller son regard perdu) il avait en effet d’autres préoccupations. L’angoisse fébrile qui l’assaillait alors commençait à forger, dans son esprit mal dérouillé, sa définition sous forme d’une question précise et prégnante: “Qu’est-ce que je fais dans ce train?

Il était sûr, maintenant, d’être parfaitement réveillé, en possession de toute ses facultés. Mais cela l’effrayait d’autant plus qu’il ne pouvait alors attribuer l’absence de réponse à ces semi-somnolences qui encadrent le sommeil et grèvent la lucidité. Tout en prenant sur lui pour recouvrer son calme, il constata que le train accélérait insensiblement mais régulièrement (peut-être d’ailleurs était-ce cela qui l’avait réveillé), n’y prêta pas attention et chercha autour de lui la personne à qui il pourrait demander la destination du train sans paraître par trop ridicule. C’était là un soucis d’élégance qui ne le quittait ordinairement qu’avec son sang froid. Il choisit donc, pour éviter d’attirer l’attention, la personne à sa portée direct, juste en face de lui.

Hum, pardonnez-moi, je vais vous paraître ridicule; mais pouvez vous me dire quel est le prochain arrêt?” La rombière ronde et rose ne sortit de son Stars-week-magasine que le temps de jeter un “non” froid et fuyant, accompagné d’un fugitif regard désapprobateur qui semblait le trouver plus inconvenant que ridicule. Jean rougit, prit son parti de présenter idiot et reformula sa question: “Je sais que je donne l’impression de débarquer, marmonna-t-il avec un sourire contrit, mais ce que je voulais vous demander, c’était si vous pouviez m’indiquer la destination de ce train.” Cette fois-ci, la ménagère ne leva qu’à peine le nez de son magasine, seulement son nez poudré, et garda ses yeux lourds de maquillage rivés sur les palpitantes crises du couple en vogue, en crachant un péremptoire “non” visiblement destiné à toutes les questions qui pourraient suivre. L’indifférence excessive manifestée par les voisins directs, qui ne pouvaient ne pas avoir entendu, décida Jean interloqué à se lever pour aller se renseigner plus loin, à plus avenant.

La première panique, largement évacuée, avait laissé place à une franche inquiétude, qu’il retrouvait après l’avoir presque oubliée dans l’embarras de la conversation. Il gagna donc résolument le carré central du wagon et (au diable le ridicule!) demanda haut et clair: ”Pardonnez-moi, quelqu’un pourrait-il, s’il-vous-plait, m’indiquer où va ce train?” La réaction fut immédiate et atterrante. Dans le brouhaha qui régnait, Jean distingua quelques invectives et algarades plus impératives que les autres:

_”Qu’est-ce que cela peut bien vous faire,

_”Nous avançons, vous voyez bien que nous avançons, est-ce que cela ne vous suffit pas?

_”De toutes façons, si nous arrivons quelque part, vous le verrez bien, de toutes façons. Qu’est-ce que cela vous ferait de le savoir avant? De toutes façons, vous ne pourriez pas dévier la direction du train! De toutes façons...

_”Vous pouvez constater, cher monsieur, que nous sommes en pleine partie de cartes. Vous seriez bien aimable de ne pas déranger le divertissement de notre ludique somnolence.

_”On est bientôt arrivé?” demanda benoîtement un gamin que le remue-ménage faisait espérer et qui reçut immédiatement sa taloche.

Jean, livide, profita d’une accalmie relative à la tentative, de la part des intervenants, de renfrognement dans leur tranquillité autiste, pour oser un timide et presque suppliant: “Mais vous-même, vous savez bien où nous allons, où vous allez...” Reprise réflexe du chaos verbal précédent, où les esprits s’ébrouent bruyamment pour se donner le sentiment de participer, à peu de frais, à une action héroïque:

_”Mais bien sûr que nous l’ignorons, qu’est-ce que vous croyez? Vous vous croyez donc supérieur aux autres, pour nous étaler ainsi vos états d’âme et vos scrupules!

_”Moi, j’ai bien une idée... mais elle est d’ordre strictement privée!

_”Oh, moi aussi, j’ai bien cru, au départ, (Jean sursauta) savoir où j’allais, mais voyez vous, j’ai mûri et je me garderai bien d’avancer quelque opinion qui ne manquerait pas de faire du chemin un fixisme prétentieux. Le chemin n’est plus qu’un lieu si l’arrivée est établie; il est un dynamisme si l’aboutissement reste à définir. Dans Les chemins qui ne mènent nulle part, Heidegger démontrait, aussi magistralement qu’initiatiquement que les...

_”De toutes façons, chacun a un avis différent sur la question. Alors de toutes façons vous ne seriez guère avancé. On ne peut pas trop savoir de toutes façons. De toutes façons.

_”Et puis d’abord, qui vous dit que nous allons quelque part?

_”Encore combien de kilomètres?” PAF! Ouinnnn... Chuut! Sniff...

_”Mais enfin, tenta Jean avec l’énergie discrète du désespoir qui a tout à gagner à rester courtois, vous savez au moins d’où nous venons?

_”Monsieur!! Enfin...!”s’offusqua la jeune mère-la-taloche comme s’il s’obstinait à quelque grivoiseries en présence des femmes et de l’enfant.

Pour mettre fin au malaise, prégnant comme la moiteur d’un malentendu, un homme pris la parole avec autorité, protecteur et condescendant:

_”Vous pouvez constater comme nous, cher monsieur, que nous sommes en voyage. C’est un fait, nul ne songerait à le contester. La question de l’origine , elle ne se pose plus. Quant à celle de la finalité, je veux dire de la destination, elle n’est pas d’actualité: elle n’est pas un fait constatable. Lorsqu’elle sera un fait constatable nous ne seront en effet plus en voyage.

_”Mais...

_”Les faits, monsieur, constatez les faits.

_”De toutes façons.

_”Mais est-ce que vous êtes tous fous?!” Jean avait hurlé sans même l’avoir voulu. Il ne le regretta pas: de toutes façons il s’était déjà aliéné ces gens sans trop savoir comment ni pourquoi. Pour prendre la parole, l’homme qui répondit s’était levé, péremptoire, réprobateur, et plein de cette assurance emphatique qui fait les porte-parole.

_”C’est vous, monsieur qui êtes fou. Nous sommes dans un état libre, chacun fait ce qu’il veut de ses angoisses et de ses névroses. Mais cet état, monsieur, est aussi laïc, gratuit et obligatoire, et vous êtes prié de garder les vôtres pour vous.

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« Le siècle le plus menaçant pour l’homme n’est pas celui qui nie la vérité, mais celui qui ne s’en soucie pas ». Cardinal Paul Poupard 

 

Publié dans Exhumé d'archive

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D
<br /> Très bon,l'Abbé! Je vais vous mettre dans mes liens. Puis-je respectueusement vous demander si vous pouviez en faire de même? Un grand merci.<br /> Don Henri / Louis-Marie (bloguemestre de http://fides-et-ratio.over-blog.fr/)<br /> + PAX et BONUM<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Voilà un blog qui commence bien (St François de Sales) et qui continue bien. M.l'abbé votre pub sur le FC a été efficace, je reviendrai<br /> <br /> <br />
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A
<br /> * Elle n'est pas toute neuve, mais elle est -je crois bien- d'actualité.<br /> * Elle n'est pas toute neuve, mais guère plus ancienne que votre dernière confession, si je ne m'abuse, ma chère Max... (et toc).<br /> * Elle n'est pas toute neuve, mais elle me sert surtout de test de fonctionnement de ce petit média (si vous l'avez trouvé, c'est que j'arrive petit à petit à quelque chose).<br /> <br /> L'abbé, l'étole violette jamais loin, même en temps pascal.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Dites, Padre,<br /> <br /> Elle n'est pas toute neuve votre copie, là... Si je puis me permettre.<br /> ;-)<br /> <br /> Max<br /> <br /> <br />
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