Le deuil de la vérité
Botul-Henri Levy
À force de le honnir chaque fois que nous l'entendions pousser, du haut de sa supériorité plumitive, le gémissement plaintif que produit la migraine intellectuelle en butte à la médiocrité du monde si bassement réaliste, à force de l'élire punching ball préféré de mes défoulements disputationnels, à force d'en avoir fait la personnalisation de la vacuité pensive, il fallait bien pouvoir justifier cette exécration corticale par autre chose qu'un sentiment de nausée fade et récurrente à la fréquentations de ses chroniques prétentieuses et ses fats éditoriaux. J'ai donc pris l'un de ses ouvrages dans une main, mon courage dans l'autre et...
...j'ai lu!
Quoi ?
La pureté dangereuse
de Bernard-Henri Levy
«La vérité existe, disait l'intégrisme."
Le verdict tombe net.
Pour une fois, BHL ne se perd pas dans ses entre-parenthèses, entre-guillemets, entre-virgules, entre tirets... Quiconque se réclame de la vérité, que dis-je, quiconque admet que la vérité existe, est un intégriste! Notre bouffon grandiloquent n'a pas peur des mots. Il les prend, les tord, les utilise à sa guise. Il aime appeler un chat un chien et quiconque ne suit pas son vide de pensée, un fasciste. Le lecteur est donc tenu d'accepter, sous peine de devoir se sentir dangereusement réactionnaire ou affreusement idiot. Car, ne vous y trompez pas, notre ange bleu de l'innocence militante justifie l'emploi de ses mots. C'est simple: Tous ceux qui parlent de vérité affirment la pureté de cette même vérité; or pureté égale intégrité et intégrité, n'allons pas chercher plus loin, est soeur étymologique de l'intégrisme. CQFD.
Pardon, j'ai dit "c'est simple", j'aurais du dire : c'est simpliste. En rhétorique, c'est ce que l'on appelle un syllogisme de sophiste (de la plus belle espèce!). Et ne croyez pas que ce moraliste outrecuidant s'offusquerait de ce qualificatif: il a lui-même pris soin d'expliquer et d'étaler son admiration pour ces sophistes qui, eux au moins, ne cherchait pas la vérité comme ces pré-fachos et proto-nazis que sont Platon et Aristote.
Et notre intellectuel, grand pourfendeur de fantôme, vitupère sur tous les tons, se perd dans tous les thèmes, tous les anathèmes, et opère tous les amalgames. Ainsi, sans peur mais ne tarissant pas de reproches, il dénonce "l'internationale intégriste" avant d'énoncer "les dix commandements de l'intégrisme" qui sont censés rallier tous ces "purs". Et c'est sans autre forme de procès, et bien malgré eux, que se trouve réunis sous le même drapeau indéfini Jirinovski, le FIS-GIA, Milosevic, Pol pot, Le Pen, Savonarole, Saint-Just, Maurras, Hitler et même Soljenitsyne pour faire un chiffre rond (et bien sûr tous les autres...). Et c'est ainsi que notre apprenti vieux sage nous apprend que Moscou, Kigali, Sarajevo, Alger et Janpass: même combat...
Celui de Vichy, bien entendu.
Et n'allez pas demander à BHL ce que tous ces gens, outre le qualificatif d'intégrisme qu'il condescend à leur donner, ont en commun. Il vient de vous expliquer qu'ils ont commis l'inexpugnable faute de "croire en une transcendance" et en conséquence de celle-ci, vouloir "guider l'homme vers le Bien et vers le Vrai". Enfer et damnation, Horreur et détestation! 89, où es-tu? Ces gens-là ont osé se réclamer d'une vérité!!
Mais c'est intrinsèquement antidémocratique!
Car, bien entendu, c'est au nom de la démocratie que ce philosophe de plateau-télé nous casse les pieds depuis presque trois cents pages. Et comme c'est un malin (il utiliserait plutôt le mot génial), il tient à se démarquer des "intégristes de la démocratie", mais si vous savez bien, les populistes! Ce populisme que notre cuistre imbu définit comme Rousseau définit la démocratie (c'est la majorité qui fait la vérité), à cette différence que BHL utilise des mots péjoratifs là où Rousseau les choisis laudatifs. Seulement, dans sa grande exaspération, notre auteur ne définit pas la démocratie.
Il a dû oublier.
Il se contente de sous-entendre, comme un dogme infondé, comme un a priori indubitable, que c'est le Bien. Pardon, que ce qui n'est pas démocratique ce n'est pas bien, ouh-la-la...
Ce qui nous conduit à la conclusion suivante (et c'est le titre d'un chapitre dans la partie "Que faire"): si nous voulons préserver la démocratie (ce que tout BHL digne de ce nom ne peut pas ne pas vouloir) il nous faut "faire le deuil de la vérité".
Et plus vite que ça!